jeudi 18 novembre 2010

Larmes et alarmes dans les pays du Sahel

Le contexte: dans le cadre du festival Migrant'Scène, le réalisateur nigérien Abba Kiari est venu à Sciences Po présenter son film Larmes et alarmes sur les migrants au Sahel. Morceaux choisis de ce qu'on a pu retirer de la projection et de l'entretien qui a suivi.


Pays tampons et refoulement
La politique européenne d'immigration à l'égard des pays du Sahel tend à faire de ceux-ci des "pays tampons", où les migrants sont interceptés avant même de quitter le continent en direction de l'Europe. Les contrôles d'identité y sont fréquents, et les individus sans documents d'identité valide se font massivement renvoyer dans leur région d'origine en camion: c'est le refoulement. Les Etats reçoivent des aides financières de l'Europe, qu'ils doivent ensuite justifier par un nombre important de personnes refoulées. Une politique du chiffre qui fait fi des motivations des migrants et qui ouvre la porte à des abus. Ainsi, dans le film, l'un d'entre eux, casquette Obama vissée sur la tête, nous explique qu'il a été refoulé 3 fois. La troisième fois, il ne désirait même pas aller en Europe mais simplement rester dans la région. Ils seraient nombreux dans ce cas, puisque plus de 8 migrants sur 10 restent dans les pays du Sahel.


« Après l’or et le diamant, vendez le fleuve Niger »
Sans surprise, lorsqu'on demande aux migrants les motivations de leur fuite, les raisons économiques sont les plus citées. Le manque d'emploi et les mauvaises conditions de travail provoquent des exodes importants. L'Afrique est pillée par des entreprises étrangères qui ne partagent pas leurs bénéfices, estime une personne interrogée. Des grèves ont parfois lieu pour dénoncer cet état de fait; lors de l'une d'elle, une banderole accuse: « Après l’or et le diamant, vendez le fleuve Niger ».

« 1100 euros trois fois »
Les personnes interrogées évoquent, amers, les souvenirs de leurs tentatives d'émigration. Des tentatives qui coûtent cher: "j'ai dû payer 1100 euros trois fois", dit l'un d'eux, affirmant que les seuls frais de transport coûtent 500 euros aux candidats. Pour aller jusqu'en Europe, l'obtention d'un visa et d'un billet d'avion peut revenir jusqu'à 8000 euros. Un tarif qui ne comprend pas la sécurité des personnes: "sur les 37 que nous étions, 30 sont morts", explique un homme. "J'ai fait 756km en 15 jours", dit un autre. A pied, bien entendu. Pour éviter les zones contrôlées, les routes empruntées par les passeurs sont de plus en plus longues et dangereuses. Les pertes humaines sont lourdes, et une membre de Médecins Sans Frontières explique que les refoulés peuvent avoir des séquelles psychologiques. Elles sont plus profondes encore chez les personnes expulsées depuis l'Europe, principalement dues à la rapidité de la chose: les sans papiers n'ont pas le temps de rassembler des affaires et arrivent chez eux honteux d'avoir les mains vides. Avec pour illustration, l'histoire, relatée par la même membre de MSF, d'un homme qui ne parle plus que d'une chose depuis son expulsion: une poupée. Une poupée qu'il achetait pour sa fille lorsqu'il a été interpellé, sans que la police ne lui laisse le temps de la lui donner. "Pourquoi?" se demande-t-il encore.


La théorie de la rotation
Rien n'indique que ces migrants ne souhaitent rester longtemps en Europe. Jusque dans les années 1970, les législations en vigueur permettaient une certaine rotation: les émigrés restaient quelques années en France, travaillaient, économisaient, puis revenaient auprès de leur famille alors que d'autre partaient à leur place. Parfois, certains exerçaient des fonctions importantes à leur retour: maires, députés... Mais cette relative liberté de circulation s'est compliquée et ce système de rotation a pris fin. Il est plus difficile d'atteindre l'Europe pour les travailleurs africains, ceux qui y sont déjà se doivent donc d'y rester et d'envoyer de l'argent au pays. Ils constituent une aide financière irremplaçable pour ces Etats, d'abord par l'ampleur énorme qu'elle prend (autour de 200 milliards de francs CFA par an rien que pour le Mali) mais surtout parce qu'elle revient directement  à la population, alors que l'APD, l'Aide Publique au Développement venant d'Europe, passe par les autorités dont certaines sont corrompues. Une fois reçu, l'argent est utilisé dans le cadre familial, mais aussi en communautés qui permettent la construction d'infrastructures comme des routes, des écoles...



Pour changer la situation, « tout doit reposer sur les jeunes »
En Europe, ils doivent s'informer et informer les autres. En Afrique, ils sont capables de beaucoup de choses, comme ils l'ont prouvé au Mali, puisque ce sont des mouvements étudiants qui ont lancé la contestation contre le régime de Moussa Traoré, provoquant finalement sa chute...




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